En avril 1969, Marguerite Duras publie Détruire, dit-elle – un texte qu’elle adaptera au cinéma la même année. Le récit fragmenté met en scène dans un hôtel, aux abords d’un bois, trois personnages en proie à la puissance du désir. Comme souvent chez Duras, l’attente se substitue à l’action, les mots semblent gagnés par une torpeur étrange, et la destruction est ici celle de l’ordre social. Une géométrie de l’espace remplace en fait la psychologie des individus afin de traduire une force impersonnelle à l’oeuvre. D’une attitude à l’autre se joue une ressemblance entre les différents protagonistes qui remet en cause finalement toute singularité. Ainsi, Détruire dit-elle est portée par une radicalité qui témoigne de la déconstruction du sujet humaniste propre à une certaine modernité, dite à l’époque, post-structuraliste. Cinquante ans plus tard, il ne s’agit pas de reprendre littéralement cette approche. Mais en inversant le titre de Duras, il ne s’agit pas non plus de faire retour à la puissance de l’auteur/artiste sans la questionner. En fait, Crià dicenu souhaite montrer l’effervescence de la scène artistique corse où les femmes jouent un rôle primordial tout en enregistrant une nouvelle perspective identitaire. Quelque chose parait en effet traverser l’ensemble des oeuvres exposées, que l’on peut s’aventurer à nommer un pouvoir de métamorphose. Dans les images et sons proposés, un processus de transformation peut être observé. C’est là le signe que le territoire insulaire est bien sûr loin d’être figé. Et que les sensibilités qui s’y déploient guettent et quêtent des expériences capables de nous toucher, de nous altérer, et de nous faire comprendre que le féminin dont il est question est avant tout l’expression d’une remise en cause des représentations dominantes qui souhaitent toujours se statufier.
Fabien Danesi
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