L’homme est un animal inachevé, fatigué déjà. Il fait peine à voir. La vipère lubrique, elle, est pleine de vie. On ne sait pas bien ce qui a poussé les communistes staliniens à affubler d’un adjectif aussi sympathique un animal qui fait peur à tout le monde. On retrouve pourtant cette condamnation sans appel dans leurs imprécations, dénonciations, malédictions. Les agents secrets américains – ce que chacun de nous est à l’évidence – sont naturellement des vipères lubriques. Également l’ouvrier qui ne croit plus au « Grand soir », le cadre qui se rebiffe, le commerçant qui vend des cornichons avariés, bref tout le monde : vous et moi… Nous aimerions bien être lubriques. Mais vipères, non ! La lubricité pourrait être une sorte d’amour de l’amour. Un bel horizon ! Je vois apparaître au bout de la rue une foule lubrique, belle à voir, sexes tendus, fesses à l’air, prônant le grand coït universel, se ruant sur son prochain qu’il faut aimer, nous dit-on, à tout prix… Voilà Marx ahuri, Lénine stupéfié, Engels paralysé ! C’est la lutte finale, la vraie. Celle qui met fin à tous les renoncements. À ce prix, je veux bien être une vipère, fidèle à la classe et même au peuple des vipères ! Ce dernier roupille, comme chacun sait, dans un nid où l’on ne fait pas vraiment la différence entre la tête et la queue… Cette invention dans le langage est tout à fait magnifique. Du haut de la Place Rouge jusqu’aux sous-sols des prisons politiques, la lubricité de la vipère fait étalage de ses vertus d’épuration. En général, la vipère lubrique finit d’une balle dans la tête, le tireur devenant souvent la prochaine victime et la lubricité étant désormais sujette à d’étranges métamorphoses. Lisez Les habits neufs du Président Mao, vous serez étonnés de la dénonciation par Simon Leys du panurgisme sinistre des intellectuels français au moment de la révolution culturelle chinoise. Le culte de Mao dans les rues tranquilles de Paris, dans les amphithéâtres universitaires, écrasait sous son hystérie les millions de morts provoqués par « le Grand Timonier » qui fustigeait allègrement dans la puissance américaine un « tigre de papier ». Nous ne sommes pas absents de ce bestiaire puisque nous avons à notre disposition l’ours russe, le coq gaulois, l’aigle de Meaux (Bossuet), et le cygne de Cambrai (Fénelon)… Et c’est ainsi que François Mitterrand devint une grenouille… Sous le féroce empire de Staline, les vipères lubriques espéraient un monde meilleur. C’était beaucoup demander.
Par François Léotard – Illustration : Parti communiste, maréchal Staline, parade URSS, classique vintage poster
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