Si on lui dit qu’il n’aime pas les femmes, il se fâche. C’est tout le contraire. Il est seulement stupéfait de la façon dont elles s’installent, veulent s’imposer, dictent peu à peu leur loi, s’estiment indispensables. Elles le font naturellement, avec douceur, sachant que si elles agissaient autrement, au début du moins, la rupture viendrait trop vite. Alors c’est une bague ici, de petits cadeaux, des gentillesses là, un parfum, une chemisette… Elles marquent un territoire à conquérir. Puis viennent avec les chaussures, les valises… Lui, reste ahuri par le changement de ce lieu qui fut le sien et qui se trouve bientôt sous la tutelle coloniale de l’autre. L’ahuri a perdu sa souveraineté sans s’apercevoir de la ténacité qui anime l’adversaire… C’est bientôt la guerre : espionnage, collaboration, délation, armistices provisoires. Finalement il prend le maquis: bistrot du coin, absences prolongées, voyages urgents… Le mensonge est épaulé par des alliés de l’extérieur: des troupes fraîches, des copains, des tâches urgentes, un travail indéfinissable, une autre femme… Cette approche douce et perfide d’un espace vital pousse le célibataire ahuri vers la mélancolie. Il ne comprend pas que l’on puisse en vouloir à ce monastère pacifique qu’il avait construit et où il avait inventé une forme de réclusion silencieuse et volontaire. Cet homme-là n’est pas « endurci » comme on le dit trop souvent. Il est libre, simplement. Ou du moins s’efforce-til à l’être. C’est plutôt un tendre, pas méchant pour deux sous. Et cette guerre qui lui est faite, qu’il a provoquée par imprudence, il va finir par la gagner, avec violence. Un jour les affaires de la dame seront sur le trottoir. Elle ne comprendra rien parce qu’elle n’avait jamais « commencé » à comprendre. L’appropriation d’un individu va entrer progressivement dans le Code pénal. Ce sera un délit puni de plusieurs années d’emprisonnement. Il était temps! Et l’on dira désormais la même chose pour une femme qu’un homme occupe comme un territoire conquis de haute lutte. Elle est là, devant ce qu’on appelle un mufle. Il ressemble à un bœuf et a le QI d’un puceron. « I’ll be a park, and thou shall be my deer », je suis ton enclose et tu es mon cerf, écrivait Shakespeare (Vénus et Adonis).
* « Je me suis arrêté devant l’épouvantable inutilité d’expliquer quoi que ce soit à qui que ce soit. » Charles Baudelaire Avec l’aimable autorisation des éditions L’inventaire.
Par François Léotard – Illustration: Couple. Picasso. 1971
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