« In la revue Esprit mai 1997 »
Parler, non de la Corse, mais du fait d’être né en Corse, ne m’est possible qu’en première personne. J’écris à partir d’un lieu, Paris, où je vis depuis un demi‑siècle. Jamais je ne m’y suis senti exilé. Chaque année pourtant (sauf pendant la guerre) je revenais en Corse. J’y reviens encore aujourd’hui. Mais je sais que jamais je ne quitterai tout à fait Paris. Or, à prendre le mot « origine » en son sens fort et premier, je n’ai d’autre origine que corse. Aussi loin que je remonte dans le passé, toute ma parenté, aujourd’hui presque éteinte, a été corse. Ces gens ont vécu en des lieux très anciens que j’aime et connais ‑ Vico, Evisa, Eccica‑Suarella et, plus tard, vers le début du siècle dernier, Ajaccio. Je constate ici ce qu’il me faut maintenant tenter de comprendre : cette dualité que je crois avoir vécue sans trop de tensions ni dommages. Aurais‑je donc une double origine ? Dois‑je dire que j’ai trouvé d’autres racines que celles qu’a nourries ma terre natale ? La culture acquise m’aurait‑elle recouvert au point que je vivrais maintenant, tout environné de ses signes, comme dans un monde familier où j’aurais trouvé une autre naissance ? Où est le vrai en cette affaire ? Où suis‑je né au juste, moi qui suis né Corse ? A cette question je ne peux donner pour l’instant qu’une réponse énigmatique : je suis né à la fois en Corse et ailleurs, mais en des temps différents. Comment éclairer cette relation de la Corse, comme terre d’origine, à son « ailleurs » ? Comment comprendre l’articulation du temps des origines et du temps où les événements d’une vie s’enchaînent où ils prennent leur poids et leur tournure ? Telle est l’interrogation qui aujourd’hui encore m’inquiète et me laisse incertain.
Photos : Rita Scaglia
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