Il existe une hystérie de la vitesse. Elle complète, si besoin était, une sacralisation du présent. Chacune des deux attitudes est une négation de l’Histoire. Les paroles de rues, de bistrots, de trains, les enterrements et les mariages accompagnent toujours un regard compulsif sur cette menotte à notre poignet appelée montre, instrument diabolique dont nous fûmes pourtant, pendant des siècles, dépourvus… À ce moment précis nous sommes touchés par l’ennui. Oui, l’urgence est devenue une notion impérieuse, autoritaire, obsédante, comme si le temps était compté alors qu’il suffirait, très lentement, de simplement le conter. Face à l’éternité de notre disparition future, face à l’incertitude d’un silence qui n’aura plus aucun terme, il n’y a pas de rendez-vous, de discours qui ne puissent être reportés ou ignorés. L’impatience du seul présent est une maladie grave, un embouteillage de la conscience. Elle nous asphyxie. Pour ces candidats à l’effacement que nous sommes tous, sans le vouloir, le seul choix à faire se situe entre le silence, l’amitié de quelques-uns, et la lecture. Qu’est-ce que l’actualité ? Une course sans fin de chacun derrière chacun. C’est-à-dire pas grand-chose. Même pas la petite écume dont nous aimons la blancheur, toujours multipliée au sommet de la vague. Je pense à Henri Michaux : « Une meute ne demande qu’à courir, mais qui demande à être traqué ? La meute aux grands aboiements s’est répandue… » La patience d’un arbre, la lenteur qui dans ses branches est contenue vous invite à vous asseoir à son ombre. Alors, en regardant le feuillage, une pensée moqueuse vous traverse : au même moment les télévisions crépitent, les journaux s’arrachent et vous rêvez de ne rien savoir. C’est un sentiment assez proche du bonheur. Vous êtes au fond de vous, très loin, dans un univers intérieur que personne ne connaît. Une grande légèreté vous habite. Vous êtes vivant depuis tant de siècles ! Un nuage passe lentement et vous pensez à Pablo Neruda : « Je veux être un peu plus oiseau de jour en jour » (Chant général). La lenteur suppose une immense volonté. Elle a besoin non de nonchalance, mais d’une détermination sans faille. L’homme de lenteur est un animal à sang froid. Son imagination est féconde. Elle est fille du temps.
Par François Léotard Illustration : Marylin, Ange Leccia
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