C’était en 1988. Adolescent passionné de sciences, je regardais avec fascination et perplexité, comme la France entière, une histoire scientifique qui s’invitait dans les médias, en grandes polémiques, en commentaires moqueurs et en dessins satiriques : la mémoire de l’eau. Bien plus qu’une controverse scientifique, c’était, selon les mots de l’immunologiste Alain de Weck, « une légende scientifique qui restera certainement une des plus fascinantes du 20e siècle. » Une légende oui, mais une tragédie avant tout. Une recherche scientifique décrédibilisée, une revue prestigieuse déshonorée, et un chercheur à la réputation désintégrée, dont les dernières années seront tout entières consumées par ses tentatives tourmentées de prouver son bon droit.Comment résumer à grands traits ce feuilleton scientifique aux cent épisodes ? Dans les années 80, Jacques Benveniste est un chercheur de grande réputation, extrêmement prolifique, travaillant à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), l’un de ces grands instituts publics qui depuis le milieu du 20ème siècle jouent un rôle majeur dans la recherche française. Ses thèmes de prédilection sont l’immunité et l’allergie. L’une des nombreuses réactions sur lesquelles il travaille est celle dite de « dégranulation des basophiles » : quand des basophiles, une certaine catégorie de globules blancs, sont mis en présence d’un certain anticorps (anti-IgE), les « granules » contenus dans ces basophiles libèrent l’histamine qu’ils
contiennent, avec une décoloration caractéristique. Un peu par hasard, Benveniste
observe que cette réaction très étudiée se produit même quand l’anticorps est dilué
de façon si considérable qu’il ne contient plus de principe actif. Comme si l’eau
gardait « mémoire » de ces antigènes avec laquelle elle a été en contact… la formule
« mémoire de l’eau » collera désormais pour toujours à la peau de cette expérience.
Par Cédric Villani
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