Si l’on préfère la confrontation des ressentiments à l’intelligence on pourrait continuer à engager une guerre posthume avec la culture musulmane. Ce serait vain, ridicule et indigne. La Méditerranée, volcan de tous les imaginaires, restera à tout jamais un lieu de rayonnement de la pensée, de fructification des civilisations. On y trouve les dieux et les monstres, les femmes et les guerriers, les danseurs et les rois, les paysans et les marins qui, pendant des millénaires ont inventé avant nous : OEdipe, le Minotaure, Cassandre, Achille, Éros et Dionysos, Icare et Adonaï, la beauté d’Hélène et... la bibliothèque d’Alexandrie. Elle n’est pas plus une mer arabe, grecque ou juive, qu’elle n’est européenne, chrétienne ou latine : elle est tout cela et bien plus que cela. Un Irlandais génial a écrit Ulysse, un Français pédagogue a raconté les aventures de Télémaque, un Grec a inventé le théorème de Pythagore, un Arabe y a écrit le manuel de base pour l’enseignement de la médecine, un Britannique nous a parlé du Caire, de la Crète et des citrons acides, de Justine, un Florentin de l’enfer et un Espagnol d’un « Nouveau Monde ». Il faut avoir le courage d’accepter comme cadeaux ce qui, bien avant nous, fut préislamique et préchrétien pour mettre à leurs places nos querelles pétrolières ou religieuses... La Méditerranée n’a qu’un géniteur : l’histoire universelle du langage. Pour nous c’est avec l’alpha, la première lettre, que commence le récit des cornes de taureau et l’enlèvement de la princesse Europe, la petite phénicienne que Zeus emmène vers l’Ouest. Ici, le brassage des cultures n’est pas un fardeau mais une chance. Ici, l’on ne fait la guerre que contre soi-même. Car la Méditerranée est un pays. Un pays qui ne doit son identité singulière qu’à la volonté d’accepter toutes les identités qui la composent. Ici, l’on a voulu traverser la nuit du monde. Si la Méditerranée n’est plus la « Mare Nostrum » des Latins, elle appartient depuis toujours à l’aventure humaine de l’écriture. Malgré les Traités, les conflits, les haines et les massacres, elle est « notre mère », le lieu d’élection des trois grandes religions monothéistes, tout comme le point de rencontre, la cristallisation, de l’incroyance et du doute. Si Dieu y est né, il en est mort aussi... Bien sûr j’entends les murmures : vous êtes un rêveur, un obsédé du multiculturalisme. Mais oui ! Bien sûr. Quel est celui d’entre nous qui n’a pas dans son ADN une certaine allégresse : un peu de sang grec, arabe, ou juif ? Accompagnons Albert Camus à Tipasa : « Je comprends ici ce qu’on appelle gloire : le droit d’aimer sans mesure... » Inutile de dire que, quelque part, en Corse, nous avons pensé cela !
Par Fabien Danesi, directeur du FRAC de Corse
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