Il y a une vision, ou une interprétation, une analyse bachelardienne de l’oeuvre de Graziani (L’esprit de l’air) selon laquelle elle procèderait de l’imagination matérielle (Gaston Bachelard en distingue quatre types : terre, eau, air feu) qui « creuse le fond de l’être », veut trouver le « primitif » et l’« éternel », nourrit des « germes où la forme est enfoncée dans une matière, des germes où la forme est intense », en opposition à l’imagination formelle qui fournit le « pittoresque et la variété » (lire l’ouvrage de Michèle Pichon, Esthétique et épistémologie du naturalisme abstrait, chez L’Harmattan). Cette analyse bachelardienne nous ramène à la genèse du nuagisme, elle donne, en quelque sorte, une réponse affinée à la question qui s’est posée, dans les années cinquante et soixante, sur l’art abstrait et ses différents courants. Certains artistes recensés au mouvement des informels, notamment Frédéric Benrath, René Duvillier, René Laubies, Marcelle Louchansky, Nasser Assar et Pierre Graziani, ont été qualifiés de « nuagistes » par le critique Julien Alvard. Il n’en demeure pas moins vrai que l’exposition, patronnée par Elf, au Grand Palais, était merveilleuse (essayer de se procurer « Graziani : Sahara, des dunes célestes aux forêts nuages », paru chez Somogy en 2004). Graziani, sa folie en tête, et ses pinceaux en poche, partira ensuite en Afrique. La Guinée, le Niger, le Kenya, le Rwanda, la République Démocratique du Congo... Graziani, enfin, est l’Africain. « Enfin », parce que cela revient à dire qu’il est lui-même. Dans son entière plénitude. Pour mémoire, en 1952, il avait rejoint André Breton (c’est l’année de ses fameux entretiens avec André Parinaud, rédacteur en chef de non moins fameuse revue Arts, sur France Culture). Il avait alors vingt ans. Pierre Graziani vit désormais au Gabon, où il est missionné au titre de la culture, et semble avoir délaissé la peinture. Ces toiles sur le désert faisaient partie de l’exposition « Mangroves et forêts nuages d’Afrique » au musée Granet d’Aix-en-Provence en partenariat avec la fondation d’entreprise Total. Impressions d’Afrique, réelles ou oniriques, où se dévoile un monde habité, muet et tremblant. « Au désert, dit Graziani, il n’y a pas de ligne d’horizon qui oppresse et coupe le paysage. On est fasciné par l’ambiguïté des formes. La photo est infidèle en ce sens qu’elle fige et ne vibre pas : elle donne la distance, mais elle nie l’immensité ; elle fixe les détails, mais ignore l’infini. Seul le tableau peut exprimer ce monde qui se situe au-delà de l’abstraction et du réalisme et qui est celui de la vision. »
Par Constant Sbraggia
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